Connu de tous, Toulouse-Lautrec symbolise une certaine idée de Paris frivole de Montmartre, des lieux de plaisir de cette « fin de siècle » dont il est l’un des plus brillants représentants. Jane Avril, la Goulue, Aristide Bruant, Yvette Guilbert, le Moulin Rouge sont ainsi, grâce à lui, passés dans la légende. C’est pour le sortir de cette vision restrictive que Jean-Jacques Lévêque a conçu cet ouvrage comme une mise en place de l’artiste dans son époque, dans ses rapports avec la société bourgeoise du XIXe siècle, son atavisme aristocratique et son infirmité, qui sont des données essentielles à la compréhension de ses choix et de son œuvre. Il montre aussi que ce portraitiste émérite, grâce à son graphisme hardi, brutal, annonce l’Expressionnisme et, d’une certaine manière, cette conscience existentielle qui va dominer l’art du XXe siècle, de Giacometti à Francis Bacon… Proche de ses modèles mais impitoyable, détaché de toute flatterie, il pousse sa vision jusqu’à la caricature. Face au portrait mondain, alors très en faveur, il impose des personnalités fouillées jusqu’à l’intolérable. Derrière le monde de paillette, de musique et de pantomimes qu’il peint avec vigueur et allégresse, il sonde la conscience pessimiste de la condition humaine. Il est à cette « fin de siècle » ce que Watteau ou Fragonard furent pour le XVIIIe : un peintre qui, au-delà des apparences, révèle l’âme profonde de la nature humaine.